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Apocalypse No


« Vous en prendriez bien une dernière ?! Dix bières s’il vous plait monsieur ! » dit l’homme au bout de la table de cinq. A peine arrivés dans le pays que nous nous retrouvons déjà dans notre première embuscade. La journée venait pourtant de bien commencer.


Aéroport d’Hanoi, 11 heure du matin


Le bruit des pas contre le sol résonne dans les longs couloirs du terminal. La grande baie vitrée donnant sur le tarmac permet d’observer les derniers passagers descendant du Boeing 777 nous ayant permis de rallier Singapour à Hanoi. Après quelques moments d’attente à la douane, nous récupérons très facilement les vélos auprès des bagagistes. Après une dizaine d’heures de voyage, nous faisons nos premiers pas dehors. Un grand hall protège le dépose-minute devant les portes d’entrée du bâtiment principal. Nous y trouvons très facilement une petite cachette pour préparer les vélos. Une heure et demi suffit à réassembler les trois montures. Les équipes de ménages, dont le sourire se devine derrière les masques antipollution, récupèrent nos mètres cubes de cartons et plastiques en tout genre ayant servi au transport de nos véhicules de fonction. Nous y trouvons même le temps de discuter avec un sud-africain fan du Vietnam. Bourré de conseils quant aux pratiques à adopter, il s’apprête à déménager dans le pays pour y vivre définitivement.


Un petit coup d’œil sur la carte et nous voilà lancés. Les bonnes vieilles habitudes ne tardent pas à refaire surface. A peine les barrières de l’aéroport traversées que nous nous lançons sur une cinq voies. Heureusement pour nous, la plus à droite est réservée au scooter et vélos. Direction l’Est ! L’objectif est de rallier le plus directement la côte. En effet, le sud est bloqué par l’agglomération d’Hanoi que nous ne voulons pas traverser.


Après quelques kilomètres nous croisons une petit restaurant sur le bord de route. Parfait pour notre repas du midi ! Nous garons nos vélos à côté des autres bicycles en tout genre, le long d’un aquarium remplit de poissons dont la destiné semble se préparer en cuisine. Le regard ébahi des autres clients semble être révélateur d’une faible fréquentation des touristes occidentaux dans cet établissement. Loïs et Thomas déposent leur sacoche de guidon sur la table de verre. La pause est officiellement lancée. Alors que nous discutons à propos de nos premières sensations sur le vélo après plus d’un mois de tourisme, un serveur nous apporte amicalement le menu. Pas d’anglais, galère… Heureusement pour nous, l’alphabet est latin. Excité quant à l’idée de partir à la découverte d’un nouveau pays, le choix est laissé au pifomètre. Le premier plat arrive. Comme des Abicycletistes devant un rouleau de feuilles de bananier, nous nous interrogeons sur ce qui vient de nous être présenté. Amusé, le serveur nous montre comment faire. Il suffit d’enlever la première, puis la seconde, puis la troisième feuille pour pouvoir ouvrir le petit sachet plastique contenant (enfin) le nem de poisson cru.


C’est là que les choses se gâtent. Le soldat, armé de son sourire remontant jusqu'aux oreilles nous fait un grand signe de la main. Pas besoin de parler vietnamien pour comprendre qu’il nous invite à sa table. Alors que nous nous retrouvons sous un feu nourri de questions, le second soldat prépare l’assaut. Il ne commande pas une mais deux bières par personnes. Les coups s’enchainent, l’ambiance s’anime. Découverte du jour, les vietnamiens sont habitués à trinquer à chaque fois qu’ils boivent une nouvelle gorgée. A moins de 30 centimes le demi, le budget ne semble pas être l’élément limitant la consommation. Nous devons donc insister plusieurs fois pour pouvoir nous échapper de ce traquenard.

Les dégâts sont importants. Les sept bières par personne font osciller les roues avant. L’euphorie de klaxons vient ajouter une couche. Après seulement vingt kilomètres nous décidons de nous arrêter pour camper, vidés de toute forme d’énergie.


A table !


Premier fait, incontestable, ni fourchette ni couteau ne sont présents sur les tables. Que des baguettes. Elles sont généralement en bois. Ces dernières sont beaucoup plus pratiques que celles en acier ou en plastique car le matériau accroche un peu aux aliments. Le pratique l’emporte sur l’esthétique. Dans tous les cas, les plats sont présentés pour être consommés avec de tels outils. Tout est découpés en petits morceaux. Les œufs durs et la viande sont les plus gros morceaux. Le gluant du riz permet de l’attraper sans trop de problèmes. Pour les nouilles, les vietnamiens utilisent également une cuillère. Aussi inutile que cela puisse paraître, les baguettes servent à placer les nouilles dans la cuillère.

Ces nouilles sont consommées selon deux méthodes. Soit à l’eau, soit sautées. La première consiste à les plonger dans un bol d’eau bouillante dans lequel tout le reste est ajouté. Légumes, salade, tofu et coriandre. Quelques morceaux de viandes, cuits à l’eau, sont généralement servis avec. Les nouilles sautées sont généralement préparées avec de la sauce soja.


Quant au riz, nous le consommons avec une multitude de petites préparations. Viandes grillées, œufs, quelques éléments inconnus et légumes (principalement du chou, carottes ainsi qu’une sorte de poireau). Le tout est servi sous forme d’un buffet. Une assiette (une cuve pour le cas du riz) contient un élément. Chacun se sert à sa guise. Comptez généralement entre 3 et 4 euros pour une orgie à trois.


Au niveau des fruits, nous redécouvrons les bananes. Malgré leur apparence de fruit pas mûr, elles sont beaucoup plus savoureuses que celles que nous connaissons en France. Le goût est le même mais plus fort. La texture est cependant plus élastique. Des pépins noirs sont présents au milieu. A 0,3 euros le kilo, chacun ajuste son taux de glycémie à coup de 4 ou 5 bananes par jour.

Nouvel élément au bataillon, le fruit du dragon. Sa particularité est sa coque. Toute rose, cette dernière comporte de petites ailettes vertes ajoutant une petite point d’exotisme supplémentaire à un fruit qui ne ressemble déjà à aucun autre. L’intérieur est une pâte grise décorée de points noirs. La texture onctueuse (l’intérieur se mange très facilement à la cuillère) permet d’apprécier un goût proche de celui du kiwi.


Mais le prix du guide Abicyclest revient au jus de canne à sucre. Pressé en direct live, il est servi avec de la glace. Le gout a la particularité d’être à la fois âpre de par le goût de la canne mais très doux du fait du sucre. La petite pointe d’acidité d’un ou deux petits citrons verts rend cette boisson encore plus rafraîchissante. Cette caractéristique est d’autant plus appréciable quand elle nous sert d’excuse pour une pause dans notre hammam quotidien.

Le café est également un bon moyen de se rafraîchir. Ici, il se boit froid, avec de la glace. Servi avec son petit filtre en étain, son arôme a la particularité d’être légèrement chocolaté (nous ne savons pas si ce goût vient du grain lui même ou si du chocolat est ajouté dans la préparation). La texture est épaissie par l’ajout d’un lait concentré. Le mélange est addictif. Une gorgée a l’effet d’une bombe gustative. La force du café est démultipliée par celle du goût chocolaté. Le lait concentré a même réussi à convaincre Thomas et Cédric alors intégristes du café sans sucre.

Toutes ces nouvelles choses sont encore plus agréables à découvrir quand elles sont bien faites et surtout, déjà faites. Pour les trois repas de la journée, nous mangeons au restaurant. Acheter sa nourriture dans les épiceries reviens au même prix voir plus chère. De plus, dans le cas où nous arrivons à en trouver une, le choix est bien limité. Les produits industriels occupent la plupart des rayons. Pas de place pour l’authentique. Ainsi l’ensemble de la société semble se nourrir de cette manière. Sur toutes les rues principales des grandes comme des petites villes, une boutique sur trois est un restaurant. Entendons-nous bien sur un point, nous les appelons « restaurants » dans le sens où ils vendent de la nourriture. La décoration intérieur est généralement plus proche de celle d’un garage. Tables et chaises sont en plastique. Le concours semble être à celui qui possède le plus petit mobilier. Tout est à taille d’enfant. Les lieux sont généralement sales. La viande est stockée dans des sacs plastiques à température ambiante. La forme manque mais le fond y est. La nourriture est extra fraîche et succulente. Le manque d’hygiène n’est en réalité qu’apparent. L’absence de réfrigérateurs dans la plupart du pays fait que tous les ingrédients sont alimentés en flux tendus (il n’est pas rare de voir des personnes arriver, à plusieurs reprises, en scooter pour livrer de la matière première). Quatre murs ne sont, au final, même pas obligatoires ! La « Street Food » permet de découvrir une multitude de petits plats (nems crus ou grillés, sandwichs ou brioches salées).

Camping ++


Pour cette dernière phase du voyage, un autre fait est à relever. Nous ne dormons plus en camping. Tout d’abord, la place est très difficile à trouver. La grande majorité des champs sont des rizières et sont donc inondés. Dès que nous cherchons à quitter le littoral, les montagnes apparaissent. Quant aux forêts, les colocataires sont trop intrusifs à notre goût. Moustiques, cafards ou autre insecte en tout genre sont démultipliés tant en taille qu’en nombre. De plus, la température et l’humidité ambiante transforment les tantes en piscine. Nous transpirons tellement que Cédric se retrouve à plusieurs reprises, couvert de boutons de chaleur. Le lever du soleil à 5h30 du matin interdit tout forme de grasse matinée. Enfin, un prix pour trois personnes pour une nuit avoisinant les dix euros décrédibilise tout argument de restriction budgétaire.


Le choix est donc fait, nous dormons en hôtel. Astuce du jour, ne pas chercher les établissements dénommés « hôtel » car trop destinés au touristes. Nous ne prenons que les « Nha nghi » le terme local, beaucoup moins chers et de même standing. Il n’empêche que le rapport qualité/prix varie du tout au tout. Certain possèdent une climatisation, d’autre non. La taille des lits doubles va du 120 cm au « King size ». La salle de bain va du grenier abandonné au showroom dernier cri.

Le matériel de camping n’est donc plus nécessaire. La quasi totalité des vêtements de rechange reste au fond des sacs car nous pouvons faire des lessives tous les jours. Ainsi, seule une sacoche sur quatre est réellement utile.


QL1A mon amour


Ce poids inutile ne nous empêche pas d’avancer. Sur nos deux premières semaines, nous faisons facilement 1000 kilomètres, dont notre record, 132 kilomètres en une seule journée. Assez rapidement, nous avons fait le choix de longer la côte. Le terrain est plat ce qui facilite grandement les choses. En file indienne, notre vitesse moyenne atteint 21 km/h. Un vent de dos nous permet de facilement faire des pointes à plus de 30 km/h. Sur les trois quarts de la traversée, nous restons principalement sur la même route, la QL1A. Il s’agit officiellement d’un autoroute 2*2 voies. Dans les faits, elle ne répond en aucun cas à la définition d’autoroute que nous connaissons en France. Une vraie petite vie s’organise autour. Tout ce dont nous avons besoin est disponible. La voie de droite s’apparente plus à un espace public qu’à autre chose. Dans les centres villes, tout le monde se gare en double file. Dans les campagnes, les paysans y font sécher le foin ou les graines. Le record absolu revient tout de même à la salle de mariage, dressée pour l’occasion, en plein milieu d’un virage à l’aveugle dans une légère descente.

Ainsi, la vitesse moyenne n’y dépasse pas les 60km/h. Ce petit rythme ainsi que le sens unique de circulation n’empêchent pas les automobilistes de klaxoner continuellement. Les hordes de scooter envahissent l’espace comme des nuages de sauterelles. Les bus de voyage semblent tous être victimes du même dysfonctionnement du frein. Il est ainsi difficile de définir qui zigzague le plus entre ces chauffeurs de cars amnésiques du volume occupé par leur hôtel à quatre roues ou les conducteurs autoproclamés de mobylettes (pas de permis nécessaire pour les moins de 125cm3).


Mais toute la fatigue et la tension accumulées la journée s’effacent lors de la baignade du soir. Le Vietnam est le premier pays où le climat permet de pleinement profiter du littoral. Le sable blanc et l’eau translucide font instantanément voyager les esprits. Le flot des vagues délasse et détend tous les muscles du corps.

Au pays du dragon d’Asie


Ces baignades de fin journée seraient moins exotiques si elles se passaient dans la baignoire de la salle de bain. Contrairement à la lumière tungstène du néon, réfléchissant sur le carrelage, le paysage vietnamien transporte. Notre première grosse découverte fut la baie d’Ha Long. Ce bijou de mère nature est le fruit de l’ancienne activité volcanique du nord du pays. Tels des arbres, les massifs rocheux sortent de l’eau donnant un rassemblement de petites îles très élancées. Toutes sont recouverte d’une intense végétation. Après le jaune de l’Iran, le vert des plantes et le rouge de la terre prédominent. Des grandes plaines du littoral aux montagnes de l’arrière pays, toute échelle est démultipliée. Les feuilles de bananier pourraient servir de couverture, un éléphant pourrait se cacher derrière le tronc des arbres, l’intensité de la végétation de la jungle empêche de voir à plus de cinq mètres. (Cliquez pour agrandir)

Le soleil est si haut que nos ombres sont réduites à un petit cercle noir sous nos pieds. Même après un mois sur place, la peau ne s’adapte pas. Le moindre centimètre carré de peau privé de crème solaire grille plus fortement qu’un steak sur un barbecue. Nous nageons littéralement dans la transpiration. Les poignées glissent, les vêtements sont plus salés que des harengs fumés. Alors que nous redoutions la mousson avant notre arrivé, nous atteignons un stade où nous vénérons la pluie. Arrivant sans transition, elle est comme une bénédiction. Le ciel débite plus d’eau sur nos corps desséchés qu’un canadair sur la côte d’azur au mois d’août. Les grosses gouttes massent le dos. Dès les premières précipitations, notre vitesse moyenne augmente car nous ne sommes plus limités par la surchauffe. Le boucan infernal du claquement de l’eau sur le sol et les feuilles stimule.

Apocalypse no


En France, nous entendons rarement parler du Vietnam. Ce pays lointain d’Asie du sud est semble appartenir au passé de part ses années de guerre. Les séquelles sont là (des nouveaux nés, même à nôtre époque, souffrent encore des malformations causées par l’agent orange) mais le pays inspire la tranquillité. Le contact avec la population locale est très agréable. Toute rencontre baigne dans une ambiance paisible. Tout le monde est souriant. Chacun prend son temps et sait apprécier l’instant présent. Contrairement à la population d’autres pays que nous avons visités, les vietnamiens respectent la sphère privée. Même s’ils sont très curieux de faire notre connaissance, personne n’approche de moins de dix mètres si nous sommes concentrés sur quelque chose. L’absence d’agitation facilite grandement les discutions par les gestes. En effet, personne ne parle anglais. Ainsi, lorsque nous voulons commander au restaurant, il n’est pas rare de faire un petit tour en cuisine pour montrer les ingrédients que nous voulons. Dans les autres cas, Google traduction et Gépalémo (petit livre contenant une multitude de petits shémas pour communiquer dans toutes les langues) sont nos meilleurs amis.


Le film « Apocalypse now » présentait un Vietnam des années 60 et 70 sombrant dans la guerre et la folie. 46 ans plus tard, nous y découvrons un havre de paix. (Cliquez pour agrandir)









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