Embuscade à l’Iranienne
« Les Etats-Unis poursuivront deux grands objectifs sans relâche et patiemment. Premièrement, nous devons fermer les camps d’entraînements, déjouer les plans des terroristes et faire comparaître ces derniers devant la justice. Deuxièmement, nous devons empêcher les terroristes et les gouvernements qui cherchent à se doter d’armes chimiques, biologiques ou nucléaires de menacer les Etats-Unis et le monde (…) L’Iran s’emploie activement à fabriquer de telles armes et exporte le terrorisme. »
En 2002, ces mots du président George W. Bush résonnent à travers le monde. La politique des états unis envers l’Iran est clairement annoncée. L’image du pays est marquée dans tout l’occident.
Il était une fois, en sainte année 1395 (۱ ۳ ۹۵)
Les observateurs d’Abicyclest se rendent sur place. Après un saut de 622 ans, la prise de la température ne se fait pas attendre. Leur premier hôte, Saeed, leur décrit ses déboires avec la police secrète. Il à été, à plusieurs reprises, interrogé et intimidé au sein même de son cybercafé. Son ordinateur à déjà été perquisitionné.
« 99% des gens travaillent pour les services de renseignements. Vous devez faire attention à tout le monde. Même ce SDF qui fait semblant de dormir. Ceux qui vous accueillent peuvent paraître gentils en premier plan mais, au final, ils sont juste là pour vous espionner. Personne n’aime les occidentaux ici » leur dit un autre étranger, dans la rue. Comme par hasard, le père de ce même individu à aidé, la veille, les abicyclestistes dans leur première galère.
Alors qu’ils se retrouvent sans argent du fait que leurs cartes bancaires ne fonctionnent pas, ce dernier leur offre quelques provisions dont personne ne connaît la provenance. En effet, les cartes Visa et MasterCard ne peuvent fonctionner que dans les banques internationales, du fait de l’embargo américain. Mais elles ne sont pas ouvertes le weekend, et la plus proche est à 100 kilomètres. Il faut donc parcourir cette distance et tenir deux jours avec seulement un morceau de pain et du fromage.
Mais la conspiration ne fait que commencer. L’équipe fait le fond de ses poches, pour échanger le peu de pièces azéries qu’ils conservaient en souvenir, et entre finalement dans un petit bureau à coté de la frontière. « Combien voulez-vous ? » dit l’homme derrière son comptoir indexé sur le cours euro-dollar. « Dix-sept millions devraient être suffisant » répond l’équipe. « Donner moi quelques jours pour trouver un compte européen. Je vous donnerai les instructions à ce moment là pour transférer l’argent. Pour éviter tout problème, le mieux est de communiquer par l’application russe Telegram. Attendez quelques instant, le temps que je compte les billets ». La pression est à son comble. L’équipe se retrouve alors avec suffisamment d’argent en liquide pour tenir le mois, en échange d’une simple photocopie de passeport. Lorsqu’ils sortent, un businessman turc leur dit de venir dans son bureau, installé juste à la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, pour discuter autour d’un encas.
Résumé des premières vingt-quatre heures, l’équipe s’est fait offrir à manger pour deux jours, avancé cinq cents euro (dix-sept millions de rials) en liquide pour combler au problème de carte, invité à prendre le thé et des dates fraiches et invité deux fois à dormir au chaud. Le peuple iranien correspond clairement à la notion d’axe du mal définit par l'ex président des états unis.
Concours d’hospitalité
Dans ce voyage à vélo, un fait est particulièrement marquant. Les émotions sont proportionnelles à la distance parcourue. Les montagnes nous font ressentir la fatigue physique, les chiens errants nous font ressentir la peur, le renouveau constant des habitudes nous fait ressentir la fatigue morale. Mais les paysages nous font ressentir l’aventure, les populations locales nous font ressentir l’exotisme. La particularité est que tous ces sentiments sont augmentés. Plus nous nous déplaçons vers l’est, plus ils augmentent. En termes d’hospitalité, la Turquie avais mis la barre haute par rapport à l’Europe, mais avait été dépassée par la Géorgie, elle même doublée par l’Azerbaïdjan. L’Iran ne manque à l’appel.
Le rythme des thés ne baisse pas. Petit bonus supplémentaire, les voitures s’arrêtent sur le bas côté pour nous offrir à manger. Les trois premiers soirs, nous voilà continuellement invités à dormir. Le quatrième, le gérant du cybercafé dans lequel nous cherchons un hôtel nous nous accueillera dans son appartement. Sur la route pour Téhéran, une voiture s’arrête devant nous. Le chauffeur, membre actif de « Coachsurfing », nous propose sa maison pour le reste de la journée. Un autre soir, alors que nous cherchons à faire des photocopies de documents et des photos d’identités pour nos passeports indiens, les personnes auxquelles nous demandons notre chemin nous accompagnent directement au magasin. Ils décrivent alors au gérant ce que nous cherchons. Cerise sur le gâteau, ils nous invitent à manger chez eux le soir suivant. Coulis sur la cerise sur le gâteau, le frère de la famille, également invité pour l’occasion, nous invitera également à manger chez lui le soir suivant. A peine arrivés à Téhéran, nous voilà invités par deux inconnus dans la rue. Mais nous ne pouvons accepter du fait que nous avions déjà accepté l’offre d’un autre local, alors que nous étions encore en Géorgie.
Dénommé Amir, nous étions entrés en contact avec lui à l’aide d’une personne intermédiaire que nous avions croisée à la capitale, Tbilissi. Amir nous avait alors proposé de dormir chez lui pendant quelques jours et de fêter un événement local avec lui et ses amis, dans le désert. A peine arrivé chez lui, la bonne ambiance s’installe. S’il est médecin dans sa vie de tous les jours, il est également cyclotouriste. Nous échangeons beaucoup avec lui sur l’expérience du voyage à vélo.
Mais aussitôt arrivé que nous partons pour le désert. Nous voilà au milieu du pays. Alors que nous ne sommes qu’en mars, la chaleur du soleil se fait sentir. Doudounes et bonnets ne sont plus utiles. La forte teinte jaune sable des bâtiments et du paysage nous transporte. L’exotisme est à son comble.
L’événement que nous venons célébrer est la fête du feu. Pur produit de la culture perse, cette fête est centrée autour du renouveau. Tout ce qui n’est plus utile doit être brulé. Toutes les mauvaises émotions accumulées pendant l’année doivent être échangées contre la chaleur et l’éclat du feu. Le principe est simple. Il faut se jeter dans les flammes. En plus de nous trois, Amir, sont frère et deux amis sont présents.
L’un des deux amis, Amid, est notre hôte. Il habite dans le village dans lequel nous nous trouvons. Comme toujours, une pièce principale sert de dortoir, de salon et de salle à manger. Nous mangeons à même le sol (pas de chaussures à l’intérieur de la maison), sur lequel nous déposons une simple nappe. Une nouvelle fois nous nous régalons des spécialités locales.
Univers Perse
Nous découvrons ainsi la gastronomie iranienne. Les aliments de bases sont proches des notre mais les associations sont différentes. Le « Dough » est un yaourt liquide salé et gazeux, aromatisé aux herbes. Nous découvrons également des purées de légumes telles que le « Mirza ghasemi ». La viande de poulet grillée au feu de bois devient plus légère en bouche qu’une feuille de menthe quand une pincée de safran est ajoutée. Les kebabs de mouton aux oignons crus, sont à ceux que nous connaissons en France, ce que la qualité allemande est aux fabrications chinoises. Fait intéressant, les plats sont très centrés autour du riz. Alors que nous imaginions le pays comme un gigantesque désert, nous voilà à consommer l’un des aliments les plus demandeur en eau.
En effet, à notre grande surprise, le nord du pays est aussi humide que le nord de la France. Suffisamment humide pour que la grande majorité des terres disponibles soit occupée par des rizières et de grandes forêts. Le littoral est séparé du reste du pays par des montagnes dont le plus haut sommet, de plus de 5600 mètres de haut, ridiculise le mont blanc. Le centre du pays est un gigantesque désert de 500 kilomètres de rayon. L’abondance de soleil et la fraîcheur de la mer font que le pays est devenu le premier exportateur mondial de dates.
La plus grande surprise viendra de la culture perse elle même. Alors que nous mettions l’Iran dans le panier des pays arabes, nous y découvrons un univers complet. L’histoire de France commence à la fin de l’empire romain, celle de la perse date de l’antiquité. Aux apogées de leurs différents empires, leur influence s’étendait du Danube à l’Inde. L’islam n’est au final qu’une composante récente de cette région du monde. La langue perse s’écrit à l’aide des caractères arabes, mais les gens que nous rencontrons sont fière de montrer leur pays comme étant l’un des seuls à s’être « islamisé » mais pas « arabisé » comme l’Egypte l’a fait. Ils se sont même islamisés à leur façon, en créant le culte chiite.
En seulement deux semaines de voyage, l’Iran est certainement le pays en haut de notre palmarès. Tout y est plus grand. Des difficultés rencontrées dans les montagnes à la beauté des déserts de sables et l’hospitalité des locaux, en passant par la découverte complète de l’histoire de cette partie du monde.
La menace vue dans ce pays ne relève cependant pas de l’imaginaire. Danses et rassemblements sont interdits. Les femmes sont forcées de porter le voile. Beaucoup de sites internet tels que Facebook et Youtube sont bannis. L’esprit d’initiative est tué par l’intimidation de la police. Mais les règles sont ainsi du fait que l’Iran est un pays religieux ou que le régime est tout simplement autoritaire ? Toutes les personnes que nous avons rencontrées, même les familles traditionnelles, se sentent oppressées par les autorités. N’y a t’il pas une distinction à faire entre peuple et gouvernement iranien ? Nous, français, qui nous définissons comme un berceau de la révolution, ne devons-nous pas nous indigner devant l’étouffement que subit cette population au lieu de l’assimiler aux dérives diplomatiques que nous décrivent les médias ?
« Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre coeur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. C'est la plus belle qualité d'un révolutionnaire. »
Lettre d'adieu de Che Guevara à ses enfants, mars 1965
Un schéma vaut mieux qu'un long discours :