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Jours 97 à 120 : Bon baiser d’Azerbaïdjan


Plaine arride

Pas un son n’anime la plaine aride. Le soleil, assez pesant pour un mois de février, redonne de la chaleur à la flore ayant subit le gel des derniers jours. Le vent de la nuit précédente, stimulé la planéité du lieu, ne souffle plus. Buissons et arbustes sont comme figés dans le temps. La neige de la montagne au loin contraste avec le jaune de la terre desséchée. Au milieu de ce sol craquelé, une piste fuyant à l’horizon, accentue l’effet de perspective. Plusieurs camions y passent. Terre et cailloux sont tassés par le poids des chargements. Derrière eux, un break Opel. Des roues aux portières, la carrosserie rouge bordeaux est recouverte de poussière. Par ses lunettes tordues à une branche et ses deux mains crispées sur le volant, le général Pétain scrute avec attention la route tout en surveillant trois passeport français et un appareil photo placés sur le siège avant droit. L’après midi est déjà bien entamée. L’habitacle s’est transformée en four solaire et les suspensions subissent les aspérités périodiques du terrain. Surement les tracteurs… Le nuage de poussière généré par le passage de la voiture recouvre petit à petit le peu de vitre arrière propre restant. Trois cyclistes le suivent. L’absence de suspension sur leurs montures les secoue comme jamais. Il faut alors choisir entre s’asseoir et se fatiguer le dos ou rester debout et se fatiguer les jambes. Au bout de quelques kilomètres, ils arrivent au centre de contrôle du village, faisant également office de commissariat, de mairie et d’école primaire. Tout en posant des questions en azéri aux trois touristes qui ne peuvent répondre que par des gestes d’incompréhension, l’inspecteur Gordon fait des photocopies des documents officiels à l’aide de son scanner presbyte. Un élément lui fait mordiller sa moustache. Les trois cyclistes lui indiquent qu’ils sont Français alors qu’une des pages s’assimile à un document perse. « MAIS C’EST UN VISA POUR L’IRAN, BORDEL DE MERDE ! » Mais il reste sur ses gardes… Jabba de Star wars, qu’on assimile au chef, récupère les quinze pages de semblant de photocopies et en fait trois tas bien distinct. Les joues pendantes et les yeux vissés sur son écran, il récupère les photos de l’appareil.


Vous n’y comprenez rien ? Ne vous inquiétez pas. Eux non plus, nous encore moins. Retournons un peu en arrière.

Aux portes de l'Azerbaïdjan

L’entrée en Azerbaïdjan se passe le 7 février. Les quelques kilomètres pour rejoindre la frontière sont faciles. La route est un faux plat descendant et le soleil est au rendez-vous. Le premier poste de police est soudain visible. Le sérieux de la situation est rapidement balayé par la curiosité et la sympathie des militaires. Nos premières impressions sur le pays sont bonnes. Nous apprécions le calme du fait de l’absence de voitures sur la route. Les locaux sur le côté de la route nous saluent. Les derniers kilomètres de la journée se font sur une piste. Il est plus de dix huit heure. « çay ?! » entendons au loin.


Nos hôtes de cette fin d’après midi sont deux sœurs, vivant avec leurs enfants dans une maison de plein pied le long de la route. Les boissons chaudes, le pain et la confiture de figues faits maison nous requinque. Elles nous font comprendre que nous sommes largement les bienvenus pour dormir chez elles le soir même. Plus tard, nous comprenons que leur engouement pour les touristes à vélos s’explique par leur rencontre, quelques mois plus tôt, avec un couple de cyclotouristes allemands ayant également logé chez elles (theworldahead.de). Le contraste est assez fort par rapport à nos habitudes d’occidentaux. Nous mangeons à même le sol. Une seule pièce à vivre, qui sert de cuisine, de salon et de chambre, est chauffée à l’aide d’un poêle à bois. Il n’y a pas d’eau courante. Nous rinçons les toilettes à l’aide d’une petite réserve à côté. Pour nous laver les mains et le visage, nous nous servons d’un petit seau percé à la base. Un clou conique bouche le trou. Pour verser l’eau, il suffit de le faire remonter à l’aide de la paume des mains. Astucieux !

Les hôtes du soir

Météo incantatoire

Dès le lendemain, les hostilités reprennent. Nous entamons notre route pour Bakou. Brouillard et froid sont au rendez vous. En plus du mauvais temps, nous ne passons que par des pistes défoncées. Les voitures vont à peine plus vite que nous. Plus tard, nous nous retrouvons dans des plateaux inclinés. Leur planéité donne l’impression que la zone est plate mais, paradoxalement, nous montons pendant des heures. Les routes sont peu dégagées. Nous devons faire attention aux plaques de verglas qui sont fréquentes. Nous ne pouvons fait de pauses car elles nous refroidissent plus qu’elles ne nous requinquent.


Mais, fidèle à son poste de meilleur ennemi, la neige attise la compassion de la population. À une station service, un local nous offre des boissons énergisantes. Lors ce que nous passons devant un restaurant, le chef nous offre le thé. Les trois clients de la table d’à côté nous proposent de partager le repas avec eux. Viande, pain, formage et fruits frais, le tout agrémenté de Vodka du pays. Astuce du jour, l’un des locaux nous montre que l’on peut manger des grenades pour faire passer le gout de l’alcool de pommes de terre. La bonne ambiance est au rendez-vous. Le soir, nous nous faisons inviter chez l’un d’entre eux. A six, dans une Lada à quatre places, nous nous dirigeons au village. L’itinéraire est improbable. Il est difficile de savoir s’il y a de la neige sur la route ou s’il y a une route sur la neige. Nous finissons par arriver à une grande ferme. Nous nous installons de nouveau à table. La soirée tourne en banquet. En plus de nous trois et de nos amis du restaurant, les trois fils, la femme et la mère de notre hôte sont présents. Le repas précédent n’était, en fait, qu’un simple encas. On nous sert des pommes de terre, du fromage et un lait salé aux herbes. Tout ce que nous consommons vient de la ferme. Cela semble également être le cas du vin qui est stocké dans un bidon en plastique.


La ferme de notre hôte

Photo de famille !

Le jour d’après, le soleil revient. L’opposition entre la neige et la lumière clair embelli le lieu. Mais aussitôt qu’il arrive qu’il est déjà reparti. L’après-midi retombe dans la brume. Nous nous initions ainsi au camping à -3°C à 100% d’humidité. Notre dernière nuit avant Bakou sera la plus froide. La température tombe à -5°C et un vent du nord secoue les tentes toute la nuit. Le lendemain, les gourdes et que nous avons dégelées au petit déjeuné, regèlent aussitôt. La neige, comme à Istanbul, s’engouffre dans la chaine et la cassette et gèle ensuite. Il est alors impossible de pédaler. Toutes les vitesses sautent. Le thé du thermos nous sert alors de dégivreur.

Le beau temps suit toujours la tempête
Le beau temps suit toujours la tempête

Allé, viens ! On est bien !

Après plus de 100 kilomètres dans le vent, la neige et l’autoroute, nous arrivons sur Bakou. L’idée de se déplacer autrement qu’en voiture ne semble pas faire partie des possibilités prévues par les urbanistes. Les seuls accès possibles pour rentre dans le centre ne sont que des 2*4 voies. Mais aussitôt cette barrière passée que nous nous retrouvons une nouvelle fois dans les bras de l’hospitalité azérie. Alors que nous n’arrivons pas à trouver notre hôtel, un local vient à notre aide. Il nous indique de le suivre pour indiquer l’auberge la plus proche. Il explique notre situation et nous aide même à négocier le prix.


Une ville d’occidorient


De par son design et son agencement, Bakou contraste fortement avec la campagne que nous avons traversée précédemment. Le centre est plus propre que notre chambre d’hôtel. La pierre des façades des bâtiments est comme neuve, les trottoirs et les vitrines brillent. Il y à même des poubelles dans lesquelles on peut mettre nos déchets ! La population se divise en deux catégories. Ceux qui se déplacent en 4*4 et ceux qui se déplacent en Lada. De grandes jetées permettent de pleinement profiter du bord de mer. Tout en étant moderne, l’architecture des bâtiments donne une identité à la ville.


Cependant, les rues sont organisées comme celles d’une ville américaine. La liberté de mouvement est donnée au voiture au détriment des piétons. Les passages cloutés sont rares. Il faut pourtant traverser de vrais autoroutes pour avancer à pieds. Le peu de rues piétonnes sont stériles. Tout comme les centres villes français, elles sont envahies par les magasins de vêtements occidentaux. Le goût de la cigarette froide refait surface. Nous voilà à plusieurs milliers de kilomètres de l’Europe et pourtant, nous retrouvons toujours les mêmes devantures.


Mais notre premier objectif reste d’obtenir notre visa pour l’Iran. Déterminés à ne pas perdre de temps, nous nous rendons dès le premier jour à l’ambassade. Inutile de trop se presser non plus. Nous décidons d’y aller à pieds. Après une heure de marche, le gardien à l’entrée nous indique que les services consulaires sont basés autre part. C’est reparti pour quelques kilomètres ! Une heure plus tard, nous y arrivons. Mais impossible de trouver le bâtiment. Encore une heure plus tard, nous nous rendons compte que l’indication donné par le policier n’était pas exacte. Il faut juste marcher deux petits kilomètres supplémentaires ! Enfin nous arrivons. Les services ferment à 13 heure, il est 15 heure, la mission a définitivement échoué... « Bon, pas de problème, on y retourne demain matin ! ». Le réveil sonne à la première heure. Cette fois, pas de temps à perdre, nous prenons le métro. Après quelques formalités, nous apprenons que nous devons revenir le lendemain pour récupérer nos visas. Bilan de l’opération : trois jours de pause, trois visites au consulat. Bref, on à juste essayé d’obtenir un visa…


Dust to dust


Les batteries rechargées et les esprits agacés par l’oppression de la ville, nous reprenons le vélo le 17 février. Les seules sorties de la ville sont, contre toute attente, des autoroutes. Mais cette fois, le soleil est de la partie. Le long de la route, le commerce du pétrole est perceptible. De grands champs de puits occupent les terrains vagues. Les supertankers sont visibles au larges et les chantiers navals interpellent par leur envergure.

300 000 barils par jour

Au bout d’une trentaine de kilomètres, nous sortons de l’agglomération. Nous décidons de passer par le désert. Nous voilà au milieu de rien. L’opposition entre le calme du lieu et l’agitation de la ville que nous venons de quitter nous déstabilise. L’absence d’éléments pour réfléchir le son donne l’impression de n’entendre que d’une seule oreille à la fois. Le paysage nous absorbe. L’aridité du terrain donne des couleurs très chaudes auxquels nous ne sommes pas habitués.


Les montagnes, au loin, sont embellies par le soleil couchant. Enfin une soirée où l’on peut se défouler en toute tranquillité !

Pas de bruit, pas de voisins, pas de neige ni de pluie. Un sentiment de liberté envahit les troupes.



La journée, nous empruntons des pistes fuyant à l’horizon. A chaque kilomètre parcouru, le lieu nous fait voyager toujours loin. Cédric ne prendra pas moins de trois cent photos en deux jours d’excursion.


Nous ne croisons personne. Seul quelques fermes au loin attire notre attention. Le manque d’eau nous incite à rendre visite à l’une d’entre elles. Nous y rencontrons un fermier dont le calme rassure. Son mode de vie contraste tellement avec Bakou que nous avons quitté à peine 48 heures auparavant. Sa propriété s’étend sur un petit hectare. Ses troupeaux gambadent toute la journée sur les grandes étendues de toundra. A quoi bon mettre des barrières, il n’y a pas de voisins !

Into the wide

Into the wide

Into the wide

Les cowboys de Qubalibalaoglan


A la fin du deuxième jour, nous arrivons près de village où nous souhaitions aller. Sur le bord de la piste, nous croisons un homme à cheval. C’est la cerise sur le gâteau. Le cliché n’est que renforcé. Un cowboy au milieu de rien.

Les cowboys de Qubalibalaoglan

Mais la douche froide ne se fait pas attendre. Ce dernier s’approche de nous. Situation improbable, ce dernier nous demande nos passeports. Il s’agit en fait d’un policier. Nous voilà en Azerbaïdjan depuis plus de deux semaine à nous faire saluer à chaque coin de rue, et nous voilà contrôlés au milieu de rien. Ses collèges arrivent. Assez rapidement, nous nous rendons compte qu’il s’agit en faite d’une milice de la compagnie pétrolière en activité ici même.


La danse habituelle se met en place. Le premier, armé d’un Uzi, pistolet mitrailleur israélien de 9 mm (merci la formation « Call of Duty »), se tient à l’écart. Le second se dirige vers nous et attend. Le troisième, à la panse un peu plus développée, discute avec nous. Il nous demande nos papiers et ce que nous faisons ici.


Mais leur manque professionnalisme balaye toute forme d’intimidation. Le chef éparpille nos documents un peu partout. Il semble se perdre dans les indications données sur nos passeports et nos visa azéris. Celui en retrait, armé de l’Uzi, ressemble plus à une poule ayant trouvé un cure-dent plutôt qu’à un garde fou en cas de dérapage de la situation. Le bling-bling de leurs tenues et de leur voiture noire décorée de flammes ridiculise encore plus la situation. Il est difficile de savoir si nous ressentons davantage de mépris pour ses pantins rebutés des vraies forces de l’ordre ou de la haine du fait de devoir attendre plusieurs heures à les voir papillonner sur nos documents. Enfin un vrai policier arrive. Ce dernier récupère nos passeports et, contre toute attente, l’appareil photo de Cédric. Nous avions oublié à quel point les réserves en hydrocarbure de la région de Bakou sont si abondantes et exploitées par des technologies si innovantes que l’espionnage industriel est un mal contre lequel tout shérif doit se battre de toute son âme.


De ses lunettes monobranches, ce dernier nous demande de le suivre jusqu’au commissariat. La suite, vous la connaissez !


Un air de vacance


La consommation de thé reste la principale constante depuis la Turquie. S’il n’est pas offert par les pompistes à la sortie du village, la théière ne coute pas plus de cinquante centimes d’euros au bar.


Mais l’Azerbaïdjan nous aura principalement marqué par les réactions de la population. A chaque coin de rue, à chaque village, notre présence est loin de passer inaperçue. Chaque journée aura été marquée par son lot d’applaudissement et de klaxons auxquels nous répondons, tel des stars en tournée, par des salutations. Une pause sur deux se finit par un selfie avec des locaux.


Nous sommes arrivés à un stade ou nous recherchons même à esquiver la rencontre. Nous sommes constamment dévisagés. Acheter un pain demande autant d’énergie qu’une conférence de presse. Le bon sentiment de la population est évident mais il est loin d’être rare que les locaux cherchent trop à nous aider. S’ils n’essaient pas à tout prix de nous indiquer la route principale pour aller vers l’Iran, que nous cherchons justement à éviter pour voir la campagne, parents et enfants restent jusqu’à la tombé de la nuit autour de notre camp à nous observer. Mais ces éléments forgent les souvenirs et, malgré le semblant d’agacement qu’ils nous font ressentir, nous font, tout compte fait, sourire.


Enfin, notre périple de Bakou à la frontière avec l’Iran aura été une période de renouveau pour le groupe. La neige et les températures négatives semblent avoir fait leur temps. Dès le matin, le soleil réchauffe. Gérer l’eau gelée dans les gourdes n’est plus nécessaire. Nous voilà réconciliés avec le camping en plein air. Fini les maisons abandonnées et l’humidité. Nous pouvons prendre tranquillement nos douches dans le champ du fermier qui, par un geste amical de la main, nous indique où on peut installer nos tentes.


Nous avons désormais les yeux rivés sur l’Iran, l’un des pays pour lesquels nous avons le plus d’attentes. Alors qu’en 2003, George W. Bush définissait ce pays comme un axe du mal, nous voilà déjà invités par un contact warmshower, adepte du cyclotourisme, à fêter le nouvel an iranien, dans soit disant l’un des plus beaux déserts du pays. Son engouement pour notre visite nous fascine. Il est alors intéressant de s’interroger nos préjugés sur ce pays en réfléchissant à l’idée qu'à côté des conflits d’intérêts géopolitiques, il y a souvent des peuples que nous sous-estimons.






La suite bientôt !



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